Pour inaugurer cette rubrique, qui verra des personnalités (joueurs, entraîneurs, journalistes…) nous livrer leurs souvenirs personnels de Coupe du Monde, nous avons naturellement choisi l’ambassadeur de l’AFFA, Emmanuel Petit, qui a participé à deux Coupes du Monde (1998 et 2002), dont une victorieuse, et se souvient également de l’élimination douloureuse des qualifications pour la Coupe du Monde 1994…
Fait-on plus attention à ne pas se blesser les mois précédant un tel événement ?
« Je sais par expérience qu’il ne faut jamais aborder un match en essayant de se préserver car c’est le meilleur moyen de se blesser. »
Comment ressentiez-vous l’attente dans le pays ?
« Le fait d’être le pays hôte rajoute de la ferveur et de la pression. Il est évident que l’attente était énorme surtout après notre place de demi-finaliste à l’Euro 1996 en Angleterre. »
Comment réussit-on à créer une cohésion d’équipe avant une Coupe du Monde ?
« Il n’y a pas de recette miracle pour constituer la cohésion d’une équipe mais il y a des critères importants : la rigueur, le professionnalisme, le travail et le respect. S’ajoute à cela le bien-vivre ensemble, qui est essentiel lorsque vous vivez six semaines en autarcie.
Mais le véritable déclencheur est… la victoire. Créer une dynamique positive pour fédérer tout le monde. L’entraîneur devient alors un maestros et les joueurs des solistes qui jouent, chacun à leur niveau, leur partition. »
Comment vit-on un mois en vase clos ?
« C’est un facteur très important car vous êtes coupés du monde et vos seuls repères sont vos co-équipiers et le staff. Donc il est impératif d’avoir l’adhésion de tous, en ce qui concerne le bien-vivre ensemble : respect des horaires, des repas, des causeries, des soins, mais aussi convivialité, camaraderie… Le quotidien d’un sportif de haut niveau, mais il faut également un sentiment partagé de générosité. »
Sent-on monter la pression ?
« Bien sûr ! Elle monte de façon exponentielle, au fur et à mesure que nous approchons du jour J. Les gestes, les attitudes se font plus précises. Le hasard n’a plus sa place, comme la nonchalance et l’à-peu-près. On sent les forces individuelles monter en puissance, formant un bloc soudé et compact. Nous sommes en mutation : de simples compétiteurs, nous devenons des guerriers. »
Qu’est-ce qui a fait la différence ?
« La différence se fait au moment de la mutation individuelle. Elle fait basculer chaque joueur dans un conditionnement mental et physique, où rien n’autorise la défaite et le renoncement. Dès lors, vous êtes prêts à affronter vos adversaires. Le silence prend le pas sur tout ce qui vous entoure… »
“Le Paraguay à Lens, c’est le seul match de ma carrière où je termine avec des crampes…”Le match le plus dur de cette Coupe du Monde 98 ?
« Le match le plus dur physiquement fut, sans conteste, le 1/8ede finale à Lens, contre le Paraguay. Un match éprouvant physiquement et nerveusement. Il y avait une chaleur incroyable ce jour-là et le Paraguay était ultra replié en défense. C’est le seul match de ma vie où je termine avec des crampes !
Le quart de finale contre l’Italie aussi a été intense. Une vraie partie d’échecs ! C’était à celui qui craquerait en premier… »
Et le match le plus marquant ?
« Cela ne se discute pas, c’est la finale contre le Brésil. Une finale de rêve pour nous et pour tous les Français. Mais je dois avouer que celui contre le Danemark à Lyon a également été particulier, même si personne n’en a parlé : si nous ne les avions pas battu, nous aurions certainement joué en 1/8ede finale contre le Brésil… L’histoire n’aurait pas été la même ! »
2002, le déclin
Vous sentiez-vous attendus au tournant ?
« Bien sûr, vainqueurs en 1998 et en 2000 donc, comme l’Espagne aujourd’hui, nous étions l’équipe à battre. »
La fin d’un cycle après avoir été sur le toit du monde ?
« C’est normal et même prévisible, vous ne pouvez pas être toujours sur le toit du monde… C’était une mort programmée. »
Jouer contre des équipes de tous les continents, on ne les aborde pas de la même manière ?
« Bien sûr que non, chaque équipe et surtout chaque continent a ses caractéristiques, ses spécificités. Aussi bien au niveau tactique, que technique et physique. Même la préparation mentale, d’ailleurs ; je me souviens par exemple des chants d’avant-match des Brésiliens ou des Sud-Africains.
Il faut constamment s’adapter même si je pense qu’une grande équipe doit toujours imposer son style aux autres. »
Regrettez-vous de ne pas vivre cette aventure plus pleinement, comme dans un village olympique par exemple, ou encore de découvrir davantage le pays hôte ?
« Si, mais nous ne sommes pas là pour faire du tourisme non plus ! La seule fois où nous avons ouvert les portes de l’équipe de France, en 2002, cela a tourné au fiasco. Je pense qu’une équipe qui prépare une compétition comme la Coupe du Monde doit vivre volontairement en vase clos, tout simplement. Il y a un temps pour tout… »
Les bons ingrédients pour réussir une Coupe du Monde ?
« Comme je le disais précédemment, il n’y a pas de recette miracle. Mais il y a des impératifs : la rigueur, le professionnalisme, le travail, le respect, le bien-vivre ensemble, la générosité et la détestation de la défaite… Ensuite, c’est bien de gagner ses premiers matchs, d’enclencher une bonne dynamique.
Il faut aussi un zeste de chance pour gagner une Coupe du Monde. Le doublé de mon ami Tutu contre la Croatie, en demi-finales, en est le parfait exemple ! »
La Coupe du Monde en général…
Vos souvenirs d’enfance ?
« La Coupe du Monde a toujours été un rêve de gosse. J’ai vibré avec l’équipe de France, celle des Platini, Giresse, Tigana et Fernandez. J’ai hurlé contre les Allemands, contre le destin cruel, j’ai pleuré. J’ai crié contre Schumacher ce jour-là. J’ai vibré de tout mon corps, mes premières émotions de footballeurs ! »
Comment imaginiez-vous la Coupe du Monde ?
« Tout simplement en arborant fièrement le maillot tricolore. Je voulais endosser ce maillot car il me faisait rêver et je voulais rendre fiers ma famille et mon pays. »
Vos joueurs préféré et vos équipes préférées en Coupe du Monde ?
« J’ai beaucoup aimé la France de Platini, le Brésil de 70, Maradona, ses coups de sang et ses coups de génie, le doublé de Lilian face à la Croatie… Et plein de souvenirs enfouis ! »
La Coupe du Monde, pour vous, en trois mots, c’est…
« Que du bonheur ! »
Emmanuel Petit, Parrain du projet